Aurélia Jaubert

Nouvelles Hyperborées Continentales

2011-2013

impression jet d'encre et technique mixte (collages, pastel, feutre) sur papier.
série de 13 dessins:

10 : 50x60cm
3 : 140x110cm

Aurélia ou le mariage de la carte et
de la peinture

par  Gérard Fromanger
 

Dans l’Histoire de l’Art, le mariage de la carte et de la peinture est toujours fusionnel. Ils ne font plus qu’un (oui, mais lequel ?) et c’est toujours la peinture qui gagne – quand la carte sert de modèle au peintre, elle perd tout son pouvoir de carte. Vidée de son sens, détournée de sa fonction, instrumentalisée par l’artiste, elle s’abandonne pour servir un projet plus vaste. Une fois la carte dans le tableau, plus jamais on y cherchera son chemin, mais sa présence intrigue, étonne ou confère une nouvelle dimension à l’ensemble. 

Dans les tableaux de Vermeer, « La liseuse, en bleu », « Le soldat et la jeune fille souriant », et bien sûr dans « La peinture » (1658-1662), la carte de Hollande occupe la moitié de l’espace. En les regardant, je me retrouve en Chine populaire , en 1974 : dans tous les foyers paysans visités trônaient le portrait de Mao au centre d’une carte de Chine à sa gauche et d’une carte de Chine dans le monde à sa droite. Partout la carte comme une image du pouvoir. Le paysan chinois, la liseuse, le soldat, la jeune fille et le peintre ne font qu’un avec la carte. Jasper Johns peint ses « maps » avec la même touche sensible que Cézanne ses pommes et la Sainte Victoire. La peinture l’emporte sur une représentation scientifique des USA, sur un concept froid. Contrairement au titre de l’exposition de Jed Martin, le héros artiste-star de Michel Houellebecq dans « La carte et le territoire », le territoire est plus intéressant que la carte.

En 1970-1972, toujours dans le courant soulevé par les mouvements de mai 68 dans le monde, le peintre suédois Öyvind Fahlström (« world maps », anti-impérialistes) et le peintre italien Alighiero e Boetti (« Embroidered world maps, territori occupati »), réalisent d’immenses cartes du monde, peintes ou brodées, engagées et poétiques.

Au coeur de l’art contemporain, Pierre Joseph, en l’an 2000, travaille sur la mémoire et peint ce dont il se souvient d’une carte du métro parisien. Le tableau s’intitule « Mon plan du plan du métro de Paris ». Le résultat bouleverse mes certitudes. La carte a perdu de sa superbe, le plan son exactitude et sa nécessité. Le tableau est la peinture qui nous reste quand on a tout oublié.

La planète se réchauffe, les glaciers ne sont plus éternels, les icebergs fondent à toute vitesse, les surfaces continentales apparaissent, les hyperborées de l’extrême Nord naissent sous nos yeux. Les « cartographies imaginaires » d’Aurélia Jaubert sont les premières échographies de la gestation de la terre, les images neuves de la naissance de continents inconnus, les premiers cris de la planète qui enfante.

Pas de pleurs sur le vieux monde qui s’écroule. Pas d’angoisse sur les bouleversements à venir. La carte-pouvoir, la carte-peinture, la carte-engagée, la carte-mémoire ont épousé les idées de leur temps. Devant les bio-cartes-peinture d’Aurélia Jaubert j’assiste à l’origine, aux éruptions, aux coulées de lave, aux continents en fusion. Je découvre « le pays central luxe », « le déploiement pilote », « les monts muc-mac », « le grand désert Mirajo » et « les steppes grand-mère ».

Pour Aurélia Jaubert, depuis « Piliformes », « Bulles », « Albumines » jusqu’aux « Oscillations » et aux « Nouvelles hyperborées continentales », il s’agit toujours de la naissance de la forme et de la couleur dans l’image. On agrandit un détail, on zoome l’organique, on peint l’amniotique, on dessine avec précision les cellules, les bactéries, les larves qui deviennent hyperborées- papillons.

Aurélia, fascinée par le blanc qui sort de l’oeuf dans l’eau bouillante qui le cuit, y voit le monde en train de se refaire une nature, toute neuve, toute fraîche, encore humide des couleurs qu’elle peint.

Montauto-Siena

Février 2013