Aurélia Jaubert

Paris-Spetses

2005

Un voyage en cartes postales

Un projet de Aurélia Jaubert et Alexandra Roussopoulos.

Lors d'un voyage en Grèce en février 2005, nous réalisont un projet artistique autour de la carte postale:

La carte postale est le point de départ de ce nouveau projet.

Elle nous a servi de trame et de témoignage d’un voyage réalisé en février 2005.

Les cartes postales choisies lors de ce séjour ont été repeintes et associées entre elles. Il en résulte des images ambiguës évoquant aussi bien la gravure ancienne aquarellée que le photomontage.

En transformant ces représentations idéalisées, banalisées et aseptisées d’un pays touristique, nous nous sommes réapproprié ces images collectives véhiculées par ce support familier.

Nous avons réalisé plusieurs projets collectifs artistiques ensemble dont: Correspondances en 2001 et Récidive en 2004.

Paris-Spetses

 

par Nicolas Hossard, sociologue, auteur de :
Recto-Verso. Les faces cachées de la carte postale, Paris, Arcadia, 2005

 

Une carte postale est toujours la version sublimée d’un lieu. Ne dit-on d’ailleurs pas d’une « belle » photo qu’elle « fait carte postale » ? Ce type d’images aseptisées – je pense surtout aux photographies de paysages, cartes postales de vacances de premier rang – représente un univers idéalisé : jamais de haine, de guerre, de froid, de faim, de misère ne viennent troubler la quiétude des lieux. Toujours du beau temps, un lieu supposé « paradisiaque ». L’usine au bout de la plage n’apparaîtra que peu sur ce support. Il en va de même pour les cartes postales qui ont des individus comme sujets : le pêcheur breton, par exemple, sera conforme à nos imageries mentales – façonnées notamment par les cartes postales et toutes nos consommations d’images – : barbu, trapu, bourru… Dans la galerie de personnages de cartes postales, on rencontre aussi les cartes dites « coquines », celles que l’on n’envoie – si tant est qu’on en envoie… – pas à n’importe qui. Ces corps dénudés, dans des positions suggestives, témoignent néanmoins d’une liberté des plus totales : les vacances ont forcément un goût de liberté.

En fait, les cartes postales photographiques véhiculent des clichés. Elles sont conformes à ce que notre regard sur l’ailleurs s’attendra à voir. Ceci est notamment flagrant dans les représentations de la Grèce : la mer et les îles, les maisons blanches, les temples et les statues de pierre, une nourriture saine, etc. Cette conformité à nos attentes est telle que nous ne savons plus vraiment si ce sont les cartes postales qui façonnent – du moins qui contribuent (avec la publicité ou les catalogues d’agences de voyage) à façonner – notre imagerie mentale sur ce pays, ou si ce fantasme collectif oblige ce type d’images. Un tel constat est d’autant plus légitimé par le fait que les cartes postales sont elles aussi soumises à des modes, auxquelles nous sommes tour à tour victimes et créateurs.
Pourquoi ces images lisses ? C’est que, bien souvent, la carte postale est la représentation de nos vacances, chèrement payées, longtemps attendues, et nos destinataires doivent le savoir. C’est aussi parce qu’une carte postale est, en son verso également, toujours porteuse de bonnes nouvelles. Ce n’est pas par ce biais que nous choisirons d’annoncer un décès ni même une maladie. Et quand bien même le mauvais temps viendrait gâcher les vacances, on le taira bien volontiers, couvert notamment par le ciel bleu de l’image choisie. La carte postale reste un mode particulier de communication, forte de ses deux faces distinctes mais interdépendantes l’une de l’autre : l’une raconte ce que l’autre voit et inversement. Il serait troublant pour le destinataire de recevoir une carte dont le texte relaterait un séjour à Londres tandis que l’image représenterait l’Acropole…

Objet du quotidien, la carte postale est partout. C’est elle qui dispose d’ailleurs du plus grand nombre de points de vente dans le monde ; son image peuple souvent nos espaces domestiques et professionnels, aimantée sur un réfrigérateur ou épinglée sur un mur de secrétariat, en attendant d’autres images qui, au gré des saisons, viendront les suppléer et les condamner à la boîte à chaussures dans laquelle on les conserve.
La démarche d’Aurélia Jaubert et d’Alexandra Roussopoulos permet, à mon sens, de réinterroger cette sublimation des lieux et des sujets par le travail de la peinture sur une photographie déjà existante, bien cadrée, bien propre sur elle. Mais davantage que par l’action de la peinture, cette réinterprétation d’images collectives remet en question ces clichés qui voyagent entre expéditeurs et destinataires, puis entre destinataires et spectateurs. Assemblées, les images retravaillées nous font nous interroger sur le sens de ces clichés balnéaires que nous étions pourtant habitués à voir, sans plus regarder. Mises ensemble, ces cartes postales revisitées réenchantent de supposés paradis. La confrontation de ces univers distincts mais pourtant bien présents sur les mêmes tourniquets jette le trouble. Une association improbable ailleurs que dans l’art, un peu à la manière d’un Michel Foucault qui s’étonnerait et s’émerveillerait de la présence – que seuls les mots peuvent réunir – d’un palmier sur un iceberg.

Galerie Victor Sfez
Du 11 au 17 Mai 2006
5 rue Jean Mermoz
75008 Paris

Fondation Hellénique
du 19 mai au 10 juillet 2006
Cité Internationale Universitaire de Paris
47 b bd Jourdan
75014 Paris